Entre 1962 et 1984, l’État français a organisé l'exil de plus de 2000 enfants et adolescents de la Réunion vers l'hexagone. C’était, officiellement, pour freiner la démographie galopante de l’île et repeupler les zones rurales en métropole. Pris en charge par les services de l’enfance, certains étaient orphelins, mais d’autres ont été enlevés à l'autorité de leur famille en échange de fausses promesses.
Dispersés dans 83 départements, les premiers ont été envoyés en Creuse, d’où leur nom d’enfants dits de la Creuse. Placés dans des fermes, dans des familles d’accueil, en foyer ou adoptés, ces jeunes ont subi une série de traumatismes. Un choc culturel, physique pour certains, psychologique pour beaucoup.
Soixante ans après le début de cette affaire d’État, comment les ex mineurs ont-ils construit leur identité malgré le déracinement ?
Aller sans retour - Les enfants exilés de la Réunion retrace le parcours de vie de Anne, Denise, Jessie, Stéphane, exilés dans l'hexagone. L'arrachement à leur île natale, leur enfance en métropole, la quête de leur identité et l’importance du travail de mémoire sont au cœur de ce récit.
Alors qu'ils ne sont que des enfants, Anne, Denise, Jessie et Stéphane sont arrachés à leur familles réunionnaises. Si pour certains cet exil vers l'hexagone leur donne une chance d'avoir un nouveau départ dans la vie, pour beaucoup cela est vécu comme un traumatisme. Soixante ans après ce départ forcé, le déracinement se dégage comme point commun de toutes ces histoires.
À plus de 9 000 kilomètres de la Réunion, Anne, Denise, Jessie et Stéphane grandissent en métropole, plongés dans un nouveau bain culturel. Racisme, nourriture, climat, langage, leurs différences leurs sont renvoyées de plein fouet. Placés ou adoptés, certains sont bien accueillis, quand d’autres sont maltraités. Tous voient leurs liens coupés avec leurs familles restées sur leur île natale.
Sur les 2 015 enfants réunionnais dits de la Creuse, seuls 10% se sont fait connaître. Anne, Denise, Jessie et Stéphane apprennent tardivement que leur placement en métropole fait partie d'un dispositif sciemment organisé par l’État. S'ensuit pour eux une quête pour retrouver leur véritable identité, leurs dossiers et leurs familles biologiques à la Réunion. "Quand je suis en métropole, de par ma couleur je suis Réunionnais et quand je suis à la Réunion, par ce que je dégage, je suis métropolitain".
En se regroupant en associations, les enfants de la Creuse se battent pour que cette affaire ne tombe pas dans l’oubli. La Fédération des enfants déracinés des DROM a remporté plusieurs victoires : résolution mémorielle, présence dans les programmes scolaires réunionnais et construction de lieux de mémoire comme une stèle à l’aéroport d’Orly. Reste encore à obtenir des excuses publiques de l’État et des réparations pour les traumatismes causés.
Anne David, exilée dans le Finistère à 18 mois
Placée à la pouponnière de la Providence à Saint-Denis de la Réunion à 3 mois, Anne est adoptée par un couple de Bretons en 1970. Elle grandit en Bretagne rurale auprès d'une famille adoptive bienveillante bien qu'elle soit victime de remarques racistes par certains enfants. Ce n'est qu'à 49 ans qu'Anne découvre qu'elle fait partie des enfants dits de la Creuse, en regardant un reportage à la télévision.
Jessie Moënner, exilée dans le Gers à 11 ans
Jessie, son frère Jean-Thierry et sa sœur Patricia sont séparés de leur famille de la Réunion en 1966. Jessie en garde le sentiment d'avoir été volée dans la rue. Placés temporairement en foyer sur l'île, leur adoption est déjà actée avant même le départ pour l'hexagone. Ils passent trois mois à l’aérium de Saint-Clar puis sont adoptés tous les trois par un couple de professeurs installés à Auch, malgré les doutes des services sociaux. Le père se montre tyrannique et violent. Les trois enfants doivent respecter des règles strictes sous peine de sanctions. Jessie est abusée et tente de se rebeller, mais se heurte à l’incompréhension des services sociaux.
Stéphane Gourdon, exilé à Angers à 2 ans
Contrairement à de nombreux témoignages d’ex mineurs réunionnais, celui de Stéphane est très positif vis-à-vis de son départ de la Réunion. Pour lui, le fait d’avoir été adopté est une chance. Séparé de sa mère biologique à ses neuf mois, il grandit au sein d’une famille adoptive aimante dans le Maine-et-Loire. En 1975, Marie et Jean-Pierre Gourdon acceptent d’adopter leur futur enfant sur simple présentation d’une photographie du nourrisson. Seulement quelques semaines plus tard, un télégramme indique au couple qu’il doit accueillir Stéphane à l’aéroport d’Orly.
Denise Martin, exilée à Pau à 11 ans
Denise est placée dans un pensionnat religieux de la Réunion à 5 ans, à la suite du décès de son père et alors que sa mère est enceinte d'un septième enfant. Deux de ses grandes sœurs sont envoyés en métropole en 1964. Un an plus tard, les quatre derniers de la fratrie dont Denise arrivent dans un foyer de redressement à Pau. Coupée de sa mère et de sa sœur ainée restées à la Réunion, Denise est baladée de foyers en foyers dans l'hexagone. Ce n'est bien plus tard qu’elle apprend que sa mère a été flouée par les services sociaux. Les papiers signés à l’époque laissent entendre qu’un retour à la Réunion est prévu pour les enfants de la fratrie.
Aller sans retour - Les enfants exilés de la Réunion est une série de Benjamin Cornuez et Yann Besson.
Réalisée dans le cadre de notre projet de fin d'études en Master journalisme et médias numériques (MJMN) à l'université de Lorraine (Metz) entre janvier et mars 2022.
Illustrations : La Fausse Patte
Voix additionnelles : Alexie Le Corroller, Aurélien Bertini et Amélie Pérardot
Crédits musicaux : Push (ZO aka La chauvesouris) - Sorg
Identité volée - Zooliya
Exilé - Racine mêlée
Anne David et sa fille Ségolène
Stéphane Gourdon et ses parents Jean-Pierre et Marie
Denise Martin et sa fille Julie
Jessie Moënner
Amaury Bécourt, psychologue clinicien
Gilles Gauvin, professeur agrégé d'histoire-géographie
Elisabeth Rabesandratana, avocate de la FEDD
Valérie Andanson, porte parole de la FEDD
Jean Thierry Cheroux
La Fédération des Enfants Déracinés des DROM (FEDD)
Merci également à Mickaël et Stéphanie Le Corroller, Alexie Le Corroller, Aurélien Bertini, Amélie Pérardot, La Fausse Patte, Antoine Poncet, Sorg, Déborah Boyer (Zooliya),
Véronique Jalasson (Racine Mêlée).
La promotion 2020-2022 du Master journalisme et médias numériques (MJMN) ainsi que ses intervenants et professeurs pour leurs conseils et leur soutien.